
Le théâtre
comme
maison ouverte
Mathieu Coblentz
Metteur en scène
de la compagnie Théâtre Amer
Parcours
À l’origine de la compagnie Théâtre Amer, il y a un besoin : se construire une maison où raconter des histoires, et le faire avec d’autres.
Historien de formation, Mathieu Coblentz passe ensuite par l’école Claude Mathieu, première étape d’un apprentissage qu’il résume en « trois écoles » : sa formation, la Cartoucherie, puis les années décisives auprès de Jean Bellorini.
Il entre dans le métier par les coulisses : comédien, cintrier, régisseur, collaborateur artistique.
Voyageant de plateaux en équipes, traversant les formes — du théâtre de rue à l’opéra — , il découvre combien le plateau est un espace d’apprentissage partagé, où l’on se construit ensemble.
En 2018, au retour d’un projet en Russie, il ressent la nécessité de créer sa propre maison.
Non pas une « structure », mais un espace d’autonomie : un endroit d’où regarder le monde et le raconter.
Le Théâtre Amer naît ainsi, à quarante ans, comme un cadeau qu’il se fait à lui-même : l’endroit où il peut poser son propre regard.
« C’est un désir à un moment de raconter des histoires avec son propre regard et puis d’oser le faire, je ne sais pas, ce qu’on n’a pas pu faire en étant soit sur le plateau, c’est-à-dire au service d’un autre regard, au service d’un metteur en scène, d’une metteuse en scène ou en étant à différents postes. »
Ici, le théâtre se vit
comme un espace
où l’on se construit ensemble,
où l’on traverse les textes,
les émotions,
les expériences
pour en revenir plus vaste.
Ici,
on fabrique
« du lien, du liant, du ciment social. »
Le théâtre comme
maison commune
On dit souvent que le théâtre est un lieu de représentation.
Pour Mathieu Coblentz, il est d’abord une maison.
Un espace où l’on apprend ensemble.
« Notre plafond, c’est la création.
Notre plancher, c’est la transmission. »
Cette phrase pourrait tenir lieu de manifeste.
Elle dit une manière d’habiter le monde :
créer
mais créer avec,
créer à partir du réel,
créer en ouvrant la porte.
Le Théâtre Amer cultive une continuité entre pratique amateur, action culturelle et grande scène.
« ll y a un désir qui est à la fois très fort de création artistique et puis un désir très fort aussi mais qui est posé depuis le départ de mettre la MJC sur le plateau du CDN. »
« Rencontrer des publics très différents.
Partager le plateau avec des jeunes, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap. (…) Traverser ensemble une expérience, puis la restituer.
(…) Qu’il reste quelque chose. Un souvenir. »
Parce que l’expérience du plateau transforme.
Parce qu’on revient dans un théâtre lorsqu’on s’y est déjà tenu.
Parce qu’on ose pousser la porte lorsqu’on s’y est senti accueilli.
Les pièces s’accompagnent d’ateliers, d’immersions, de traversées collectives.
Les actions d’éducation artistique et culturelle ne sont pas périphériques : elles sont au cœur du projet, vécues dans le théâtre, sur le plateau, dans le même espace que la création.
« C’est important que les publics s’approprient les lieux. Qu’ils en fassent une expérience. Qu’ils aient le souvenir d’avoir été sur scène. Quand ils reviendront au théâtre, ils pousseront les portes en sachant que c’est un peu chez eux. »
Un héritage de l’éducation populaire qui dit l’importance de transmettre, partager, nourrir et développer.
Quand on écoute Mathieu Coblentz, on comprend que la compagnie Théâtre Amer œuvre sur deux plans complémentaires.
D’un côté, la compagnie cherche à conserver et à faire naître du lien : « ce liant, ce ciment social » qui s’installe lorsqu’elle traverse un territoire et y rencontre ses habitants.
De l’autre, ses actions d’EAC relèvent d’un autre mouvement : celui qui transforme.
À travers les cinq années d’ateliers menés à Fouesnant (Finistère), le directeur artistique raconte comment, pour certains participants, quelque chose s’est déplacé, dans la posture, la voix, la manière d’être.
Une transformation subtile, mais tangible, qui traverse chacun différemment.
Ainsi, entre ce qui relie et ce qui métamorphose, leur présence engage deux gestes essentiels : faire naître, transformer, traverser.
Pour la compagnie aussi, ces périodes d’ateliers sont un terrain d’entrainement exigeant. Travailler au contact d’un groupe, dans un délai serré, impose un rythme soutenu, une forme d’entraînement intensif : créer, s’ajuster…
Mathieu Coblentz le souligne : cette contrainte nourrit voire aiguise aussi leur pratique, leur réactivité et renforce la cohésion artistique. C’est dans cet élan collectif que se révèle une autre dimension du travail du Théâtre Amer : une exigence vivante, partagée, qui façonne autant qu’elle accompagne.
Un théâtre populaire,
exigeant,
partagé
Mathieu Coblentz revendique une lignée : celle d’un théâtre populaire, aussi exigeant dans son esthétique qu’ouvert dans son adresse.
« J’ai travaillé chez des gens qui s’adressaient à tout le monde : aux enfants, aux ignorants, aux savants. Comme Molière, comme Shakespeare. Le théâtre comme lieu de la cité, où l’on rit, où l’on pleure, où l’on réfléchit ensemble. »
Pour lui, le théâtre ne se justifie pas.
Il agit.
« Le plateau, c’est un espace où l’on comprend qu’on est plus que ce qu’on est.
Un lieu de dépassement.
Un endroit où l’on traverse des émotions et des situations sans avoir à les vivre dans la vie réelle.
Un simulateur d’expérience, qui permet peut-être d’apaiser le monde. »
Le nom de sa compagnie, le Théâtre Amer, en porte l’empreinte.
Amer, comme le goût du réel — celui qui râpe un peu, celui dont on ne se protège pas.
Amer, comme ces points de repère fixes pour permettre aux marins de regagner la côte.
Cette polysémie n’est pas un effet de style : elle est la boussole et résume la démarche de la Cie : ne pas imposer un sens, mais en laisser surgir plusieurs.
« On ne pense pas avoir raison. On expose des questions. On laisse les spectateurs se faire leur avis, construire leur propre sens. »
Traverser les textes
L’histoire de la compagnie débute autour d’un premier projet ambitieux : monter Fahrenheit 451.
Une confiance, une subvention, un appui institutionnel — et soudain, la scène du Théâtre National Populaire, en pleine pandémie, symbole d’un commencement bousculé, mais tenace, donnant lieu ensuite à 70 dates de tournée.
Depuis, les créations s’enchaînent, non par frénésie, mais pour poser une langue, un vocabulaire de plateau, une équipe.
– Fahrenheit 451 : Que reste-t-il de nous quand la mémoire brûle ?
– L’Espèce humaine : Comment demeurer debout quand le monde tombe ?
– Peter Pan : Que garde-t-on de l’enfance pour continuer d’espérer ?
– Le Roi Lear : Que devient-on quand tout s’effondre — et qu’il faut pourtant vivre ?
Le Théâtre Amer ne se tourne pas vers l’autofiction, mais vers des textes qui nous traversent, qui peuvent résonner avec la situation politique du présent, qui ne nous protègent pas mais nous mettent face aux questions.
Revisiter des textes fondateurs qui réveillent, interrogent.
Ces pièces de théâtre ne sont pas des refuges.
Ils sont des lieux de friction, des zones de résonance.
Reprendre des œuvres déjà présentes dans les bibliothèques, les remettre en circulation, c’est rappeler la continuité des émotions humaines, ancrer la création dans le temps long, reconnaître notre époque dans celles qui l’ont précédée.
« On est là pour faire résonner le monde. Pour que quelque chose circule entre nous.(…) Le plateau, c’est un endroit où le temps s’épaissit. Où l’on prend le temps d’être ensemble, de regarder, de douter. »
Le théâtre n’est pas seulement un lieu d’art, mais un espace politique au sens premier : celui du lien.
« Il y a une politique du théâtre, au sens de polis, la cité. C’est une manière d’être ensemble, de partager, de se confronter. »
La lumière et la musique y sont des acteurs à part entière et forment la matière même du spectacle : une écriture sensorielle qui engage le regard autant que l’écoute, qui oriente, trouble, amplifie.
L’émotion naît de ce qui se voit autant que de ce qui s’entend.
Le temps suspendu
Au sein de la compagnie Théâtre Amer, le plateau ne se confine jamais à la répétition.
Ouvrir la salle fait partie intégrante du travail de création.
Les résidences ne servent pas seulement à répéter, mais à expérimenter : jouer devant un public permet de tester des directions, observer les réactions, faire des choix, affiner la dramaturgie et les intentions scéniques.
Le spectacle se construit dans la mise à l’épreuve des idées et des émotions, et chaque retour nourrit le processus créatif.
Cette porosité transforme le plateau en un espace vivant, où la création se déploie dans le dialogue avec ceux qui la regardent.
Tenir la durée
Créer une compagnie, aujourd’hui, demande de tenir.
De tenir le lien avec les partenaires.
De tenir la cohésion de l’équipe.
De tenir la présence sur les territoires.
Trois spectacles en trois saisons pour affirmer une présence.
Fahrenheit 451, L’Espèce humaine ou L’Inimaginable, Peter Pan, puis Le Roi Lear : autant de jalons qui ont permis une reconnaissance, un conventionnement, une inscription dans le paysage.
Avoir un rythme de création intense et soutenu est une nécessite stratégique pour une jeune compagnie afin d’exister et de ne pas disparaître.
Car aujourd’hui, pour être programmé, diffusé, il faut être visible.
Et Avignon reste un passage quasi obligé.
La question n’est pas seulement artistique, elle est structurelle.
Comment exister sans passer par Avignon ?
Comment se rendre visible autrement, sans mettre en péril un budget déjà fragile ?
Les subventions, les coproductions, les soutiens publics : tout se tisse dans ce jeu d’équilibre où chaque décision compte.
Et à cet équilibre s’ajoute un enjeu fondamental : garantir aux comédiens la possibilité de jouer, se déplacer, créer. Si les dates se raréfient, si les projets se suspendent, la troupe se disperse.
Une compagnie ne tient que si elle peut offrir à ses artistes un horizon commun, un espace où continuer à travailler et à exister ensemble.
Suspendez une saison de création, et une compagnie peut disparaître.
Suspendez un atelier, et un territoire perd un espace d’émancipation.
Suspendez la transmission, et le plateau se referme.
Comme le rappelle Mathieu Coblentz, il y a une nécessité de se redire pourquoi existe un service public et en quoi il diffère d’un service privé.
« On n’offrira pas les mêmes services ni ne structurera de la même manière la jeunesse et la société. On ne diffusera pas nos outils, nos savoir-faire de la même façon. (…) C’est pour cela que nous intervenons au niveau de l’éducation artistique, et il me semble que c’est cet endroit-là qui est le plus vertueux. »
Cultiver la fidélité
Mais tenir ne suffit pas. Il faut cultiver la fidélité.
Au fil des années, un vocabulaire commun, une manière de travailler se sont installés.
Une forme de famille artistique s’est constituée, précieuse dans la profondeur du travail.
« Notre objectif n’est pas d’avoir cent partenaires, mais d’avoir vingt ou trente partenaires solides, avec qui on peut creuser. »
Cette approche est celle d’un théâtre de service public: un théâtre qui ne vient pas seulement « jouer et repartir », mais qui s’installe, rencontre, transmet, traverse.
Le Théâtre Amer ne produit pas pour produire. Il cultive un rapport continu aux territoires, aux écoles, aux publics.
Cette fidélité lente que souhaite le Théâtre Amer est politique.
Elle produit du travail vivant, de la durée, du lien social.
Un euro investi dans la Compagnie ne se dissout pas : il circule, il relie, il irrigue.
Le Théâtre Amer avance avec une constellation d’artistes qui se retrouvent, se perdent, se retrouvent encore.
Vincent Lefèvre, Jo Zeugma,…
Chaque création est un apprentissage collectif, une mise en mouvement des savoir-faire.
« On a appris à se connaître dans ces postes-là.
Chacun aide l’autre à se dépasser, à aller plus loin.
C’est comme une famille, avec sa mémoire et son humilité. »
Dans un secteur où tout pousse à la précarité et à la dispersion, cette fidélité devient un acte de résistance, une manière aussi de révéler combien le théâtre est aussi une aventure humaine.
C’est ce qui nourrit aujourd’hui le projet d’une trilogie Shakespeare, pensée sur un même décor et avec la même équipe.
Ce que cherche le Théâtre Amer,
ce n’est pas d’amener
la culture aux publics.
C’est de réhabiliter le théâtre comme lieu où la cité se rassemble.
Un lieu où l’on peut traverser le chaos sans s’y perdre.
Un lieu où l’on découvre qu’on est plus vaste que soi.
Ce projet n’est pas nostalgique.
Il est foncièrement vivant.
Un théâtre à hauteur humaine.
Un théâtre qui accueille.
Un théâtre qui tient ensemble.
Un théâtre de présence.
Parce que le plateau est une maison.
Et cette maison, elle est ouverte.
Le Roi Lear
Création 2025
Mise en scène Mathieu Coblentz
Création 22 octobre 2025 – Théâtre du Soleil, Paris 12ème
Mathieu Coblentz, entouré de sept comédien-ne-s et musicien-ne•s et de son équipe de créateurs, s’empare de ce texte pour livrer une version épique de la tragédie shakespearienne. Dans un univers esthétique empli de démesure, où se côtoient splendeurs baroque et cabaret glam rock, les acteurs et actrices incarnent l’histoire de ce roi ayant semé le chaos par orgueil.
Distribution
Mise en scène, adaptation et scénographie : Mathieu Coblentz
Collaboration artistique, scénographie, création lumière : Vincent Lefèvre
Traduction : Emmanuel Suarez
Création des costumes : Patrick Cavalié, assisté de Sandra Billon
Composition, jeu et musique : Jo Zeugma
Jeu et musique : Florent Chapellière, Maud Gentien, Julien Large, Laure Pagès, Camille Voitellier, Florian Westerhoff
Régie sonore : Simon Denis
Régie polyvalente : Julien Crépin
Vidéos : Florent Houdu
Photographe : Fabrice Robin
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