Sillage#02


Faire danser le territoire


Natacha Le Fresne


Directrice de Danse à tous les étages

Portrait en mouvement


Le parcours de Natacha Le Fresne est le fruit d’une longue rencontre avec la danse. D’abord pratiquante, puis spectatrice passionnée et bénévole dans des festivals, elle choisit d’en faire son horizon professionnel.

Elle accompagne d’abord des artistes en création – Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, puis Maud Le Pladec à l’aube de sa compagnie, avant de poursuivre l’aventure au Musée de la Danse aux côtés de Boris Charmatz, où elle exerce comme administratrice.

En 2020, elle rejoint Danse à tous les étages.

Elle y trouve un terrain d’expérimentation et d’engagement à la mesure de ses intuitions : une danse plurielle, toujours en mouvement, ouverte et inclusive.


La danse peut transformer les territoires, créer du lien, révéler d’autres manières d’habiter le monde.

Depuis plus de vingt ans, Danse à tous les étages invite à habiter autrement l’espace public, à y inscrire la poésie du mouvement, à faire danser les corps mais aussi les lieux.

L’émancipation
par le geste



Si je pouvais dire avec des mots
ce que je ressens,
je n’aurais pas besoin de danser.

– Isadora Duncan

Créée en 1997 par Annie Bégot, Danse à tous les étages s’est construite autour d’une double exigence : celle de l’itinérance, qui permet d’aller à la rencontre des publics en milieu rural et sur des territoires souvent éloignés des grands centres culturels, et celle d’un engagement fort en faveur des droits culturels*.

Une orientation qui a plu aussitôt à Natacha Le Fresne. 


“Il y avait quelque chose de très actuel dans les enjeux qui étaient traversés à la fois autour de l’itinérance et de la présence en ruralité, qui me parlait beaucoup, mais aussi par rapport à un engagement envers les droits culturels. De tout temps, ce projet s’est écrit en lien avec d’autres, notamment avec des personnes rencontrant des difficultés dans leur parcours de vie, à qui certaines propositions sont directement adressées.” 

La démarche de l’association repose sur l’idée que chacun, quel que soit son parcours de vie, doit pouvoir accéder à l’art chorégraphique et trouver sa place dans un projet artistique partagé et ainsi pouvoir disposer d’espace de création, d’expression et de rencontre. 

Cette volonté d’inclusion traduit une conviction profonde : la danse peut être un vecteur d’émancipation, de transformation et de lien social.

Ce positionnement fonde la singularité de Danse à toues les étages : inventer sans cesse des formes de médiation et de création qui rapprochent les mondes, décloisonnent les pratiques et affirment la danse comme un droit pour toutes et tous.

Avec les partenaires éducatifs et associatifs, l’association développe des projets de création partagée auprès de personnes fragilisées, faisant de la danse un levier d’insertion et d’émancipation.

Des projets comme Créatives ou encore Portraits en mouvement, développés depuis la création de Danse à tous les étages et encadrés par des artistes, donnent corps à des engagements citoyens et sociétaux forts.

L’itinérance comme identité, l’agilité comme état d’esprit



La danse peut circuler partout,
elle est un art d’itinérance
qui rapproche les gens.
— Dominique Hervieu

Depuis 2024, Danse à tous les étages porte le label de Centre de développement chorégraphique national (CDCN). Une reconnaissance qui confirme sa place dans le paysage chorégraphique.
Mais avec une singularité forte : c’est le seul CDCN sans lieu fixe, qui fait de l’itinérance son identité.

Rennes, Brest, Concarneau, le Centre-Bretagne… autant d’escales qui composent une cartographie mouvante. Chaque étape est l’occasion de composer avec les territoires traversés, de dialoguer avec celles et ceux qui l’animent et l’habitent et de co-construire. La danse s’inscrit alors dans une relation vivante et partagée. 


“Il n’y a pas deux territoires qui se ressemblent, (…) nos activités s’adaptent aux besoins des territoires et la première chose qu’on fait, c’est de rencontrer les partenaires, de comprendre les enjeux, les envies, les besoins, ce qui est déjà fait sur le territoire. On se situe vraiment en complémentarité par rapport à un environnement donné, c’est toujours notre mode de fonctionnement. Avec l’idée d’être sur du cousu main, construit à partir de ce que l’on perçoit d’un territoire — à la fois à travers les échanges avec les partenaires et les élus, et à partir des besoins exprimés par les artistes. L’enjeu, c’est toujours de créer la juste rencontre entre un projet artistique et un contexte donné.”  confie Natacha Le Fresne.

S’adapter à chaque contexte territorial, c’est imaginer aussi des solutions techniques face aux contraintes des lieux, dessiner des projets en co-construction avec les partenaires et aussi permettre au plus grand nombre de rencontrer la danse quand quand certain·e·s vivent loin des scènes et des lieux de culture, dans des territoires où la mobilité reste un défi. 


L’itinérance demande souplesse et inventivité.
L’équipe, répartie entre Rennes et Brest fonctionne comme un organisme vivant relié par un même désir : faire circuler la danse. 

Les artistes invités ou associés s’inscrivent dans cette logique : résidences, programmations, créations dans l’espace public. Leurs propositions doivent s’adapter à des lieux singuliers — places, jardins, cours d’écoles, gymnases, sites patrimoniaux — que la danse transforme en espaces d’expériences.

Comme le rappelle Natacha Le Fresne : 

« Travailler à Concarneau n’a rien à voir avec Rennes. Les contextes, les attentes, les histoires locales sont différents. Et c’est justement ce qui nous intéresse : adapter nos projets, inventer à chaque fois. »

Chaque édition des festivals créés par Danse à tous les étages : Nomadanse ou Cap Danse devient une invitation à redécouvrir ces environnements et à les inscrire dans de nouvelles narrations.
Sortir des plateaux, c ’est accepter de se confronter aux aléas du dehors, d’embrasser l’imprévu, d’inventer d’autres formats de rencontre avec les publics.

Cap Danse :
une immersion chorégraphique dans l’espace public


Depuis l’extension de son action à Concarneau, Danse à tous les étages fait bouger les lignes. Avec le festival Cap Danse, le centre chorégraphique itinérant inscrit la danse contemporaine au cœur d’un territoire; souvent en marge des grandes scènes de Rennes ou Brest. 

« En 2022, nous étions en préfiguration pour devenir CDCN, mais nous souhaitions déjà, avec nos partenaires, qu’il n’y ait pas seulement un ancrage Rennes-Brest, mais une troisième collectivité capable de s’engager dans cette aventure », explique Natacha Le Fresne.
« Le festival Cap Danse est né de ce désir partagé de développer la danse sur ce territoire, avec des projets toute l’année — résidences, actions scolaires — qui forment le terreau fertile du festival. »

Cap Danse s’installe dans le temps de la rentrée, juste avant la reprise des cours et des pratiques amateurs — un moment encore peu exploité — et à l’approche des Journées européennes du patrimoine, période idéale pour investir les sites naturels et les lieux patrimoniaux. La danse s’invite alors là où on ne l’attend pas, entre granit et embruns, entre mémoire et invention.


La programmation reflète cette même ouverture : œuvres contemporaines, pièces revisitées où cadre patrimonial résonne avec répertoire chorégraphique, expositions, rencontres professionnelles, projections.
Une approche volontairement protéiforme déployée sur les différentes communes de Concarneau Cornouaille Agglomération où chaque projet s’invente avec les partenaires locaux, dans un souci d’accessibilité et d’ancrage.

Cap Danse, c’est l’esprit de Danse à tous les étages en mouvement : sortir des cadres traditionnels, s’adapter aux territoires, mêler l’histoire et la création contemporaine et faire de la danse un langage partagé entre artistes, habitants et territoire.

Soutenir, relier, révéler


Accompagner les artistes ne se limite pas à coproduire un spectacle : il s’agit d’ouvrir des parcours, de créer les conditions d’un travail durable et de favoriser la rencontre avec les publics. C’est dans cette logique que le CDCN Danse à tous les étages inscrit son action.

La mise en place d’artistes associés offre un cadre pour imaginer ces trajectoires, encourager l’expérimentation et développer des liens avec les publics sur le temps long. 

L’arrivée récente du label, en 2024, nous a permis de développer réellement l’activité de coproduction.” précise Natacha Le Fresne.
“Nous disposons aujourd’hui de moyens supplémentaires pour soutenir les artistes, ce qui, par les temps qui courent, est essentiel.

Le dispositif d’artistes associés permet également un accompagnement structuré et personnalisé. 

« Il s’agit d’imaginer des parcours et des jumelages entre projets, un accompagnement sur toutes les strates du projet d’une compagnie ». Aujourd’hui, la compagnie Gang, dirigée par Betty Tchomanga, artiste brestoise, est associée à Danse à tous les étages.

Cette démarche s’articule également à une stratégie de coopération à travers Tremplin, réseau interrégional coordonné par le CDCN.

Ce dispositif accompagne des artistes sur le temps long, permettant à ceux qui sont au début de leur parcours de se projeter sur trois ans et de construire leur trajectoire artistique. Chaque artiste bénéficie d’un suivi sur-mesure, avec un entretien initial approfondi pour identifier ses besoins, son parcours et ses ambitions, qui devient la feuille de route pour l’accompagnement.

Le réseau fonctionne en créant des cercles privilégiés autour des artistes : parmi les 14 structures partenaires, chacune choisit d’accompagner au moins deux des cinq artistes sélectionnés, assurant un soutien complet à leurs projets.

Cet accompagnement comprend des coproductions annuelles, des temps forts de visibilité (notamment un événement à Paris tous les trois ans) et des actions spécifiques adaptées aux besoins de chaque artiste, comme :

  • des temps collectifs et de formation, pour réfléchir aux enjeux communs, affiner son projet artistique et créer une communauté d’échanges entre artistes et structures, favorisant la solidarité et l’interconnaissance ;
  • la mise en place de projets plus longs en actions artistiques et culturelles, au-delà de simples ateliers ponctuels ;
  • l’accompagnement pour passer de créations solo ou duo à des œuvres pour un groupe ou un ensemble, en relation avec des amateurs ou des étudiants du Conservatoire de Brest ;


Avec Petites Scènes Ouvertes, le CDCN participe à un maillage territorial complémentaire, permettant aux artistes de multiplier les expériences de diffusion et de renforcer leur ancrage professionnel.

Ces initiatives illustrent comment Danse à tous les étages dépasse le rôle de simple diffuseur pour devenir un acteur structurant : un lieu-ressource où se réinventent les manières de soutenir les artistes et de faire circuler la danse sur l’ensemble du territoire.

« Nous voulons être un lieu d’écoute et d’appui pour les jeunes artistes. Les aider à trouver leur place, à expérimenter. »

Élargir le champ


Contribuer à ce que le secteur chorégraphique continue d’inventer, de se déployer et d’accueillir de nouvelles sensibilités : c’est ce qui anime profondément Danse à tous les étages.
Avec sa labellisation, l’association affirme son rôle d’acteur moteur : un espace d’expérimentation et d’émergence, ouvert aux imaginaires multiples.

Aujourd’hui, l’horizon s’élargit encore.
L’association engage un dialogue avec un réseau européen de structures itinérantes et rurales – en Italie, à Majorque, à Stromboli – qui, comme elle, inventent d’autres manières de faire vivre la création au plus près des territoires.
Une coopération à taille humaine, fondée sur l’échange de pratiques et le partage d’expériences, où l’Europe se pense à partir de l’ultra-local.

Un autre champ s’ouvre aussi : celui du lien entre danses traditionnelles et création contemporaine.
En Bretagne, ces danses sont profondément ancrées dans la pratique mais encore peu visibles sur les plateaux.
Danse à tous les étages souhaite créer des passerelles : provoquer des rencontres entre jeunes danseurs issus de la tradition et chorégraphes contemporains, encourager les échanges de savoirs, l’expérimentation et, pourquoi pas, la professionnalisation.

Une démarche qui pourrait trouver un écho bien au-delà de la Bretagne : car les danses populaires, partout en Europe, racontent les territoires et les communautés qui les font vivre.



« La danse ne doit pas nécessairement avoir lieu dans un théâtre. Elle peut avoir lieu n’importe où. »
– Merce Cunningham

Danse à tous les étages
nous révèle combien, en investissant différents lieux, on est amené à déplacer notre regard sur ce qui nous environne et appréhende ou découvre autrement la danse, le mouvement…

Pour les artistes, c’est prendre le risque de l’inconfort, de la friction mais c’est surtout ouvrir des brèches dans le quotidien.

L’espace public devient alors,
dans ce temps partagé entre artistes et public, une zone de questionnement de nos usages, de nos représentations
et du vivre-ensemble.

Cap Danse


4ème édition du Festival Cap Danse – Du 19 au 28 septembre 2025.

Cap Danse a animé dix communes de Concarneau Cornouaille Agglomération (Concarneau, Elliant, Melgven, Névez, Pont-Aven, Rosporden, Saint-Yvi, Tourc’h, Trégunc).
Cette édition a réuni 26 représentations, 3 expositions, 8 rencontres, 6 temps de mise en mouvement, 1 masterclass, 3 projections et 2 rendez-vous professionnels.
La programmation a mêlé figures emblématiques de la danse (Anna Halprin, Anne Teresa de Keermaeker, Mary Wigman) et artistes émergent·es comme Betty Tchomanga autour de thèmes forts : le vivant, le patrimoine, les récits postcoloniaux ou la diversité des corps.
Des formes variées — du solo à la déambulation, du bal populaire aux installations chorégraphiques — ont investi lieux patrimoniaux et espaces du quotidien, affirmant la danse comme langage partagé et lien vivant entre les habitants.

Photos de la 4ème édition Cap Danse © Danse à tous les étages